Femmes, l’Afrique a besoin d’entrepreneures

En Afrique, en avance sur ce point, les femmes sont davantage susceptibles de devenir entrepreneures que les hommes. Face à leurs difficultés à développer leurs projets et aux inégalités de revenus, le secteur privé doit mieux aider à les intégrer.

Par Laurent Soucaille

En Afrique, les femmes représentent 58 % de ceux qui travaillent à leur compte. Toutefois, « les bénéfices de la parité », pour reprendre une expression de la Banque mondiale, montre qu’en Afrique subsaharienne, les femmes entrepreneures réalisent toujours des bénéfices inférieurs à ceux des hommes (34 % de moins en moyenne). Les femmes sont davantage enclines à choisir l’entrepreneuriat, non par passion ou du fait d’aptitudes adaptées, mais avant tout par manque d’alternative.

Le secteur privé est un « allié de poids » dans l’autonomisation des femmes en Afrique, en particulier pour s’attaquer aux trois principales contraintes que sont l’accès au capital, la ségrégation sectorielle et le déficit de compétences.

En effet, les opportunités de travail salarié sont relativement rares pour les femmes, tandis qu’elles restent tenues, par leurs obligations domestiques, de travailler près de leur foyer. « Il s’agit là véritablement d’une occasion manquée », expliquent les auteures de la Banque mondiale, Fannie Delavelle et LéaRoanet, citées par Proparco (Agence française de développement) dans sa revue Secteur privé et développement, publiée en mars 2020.

Si l’Afrique est leader de l’entrepreneuriat féminin, on imagine combien « la pleine réalisation de leur potentiel économique pourrait contribuer massivement à la croissance et à la prospérité » : si l’on parvient à mettre les entreprises détenues par des femmes sur un pied d’égalité, à favoriser leur croissance, alors les économies africaines se développeront. « Dans ce contexte, la collaboration avec le secteur privé, afin de produire des synergies, doit constituer un élément central des efforts engagés pour accroître les opportunités offertes aux femmes entrepreneures en Afrique. »

Tout d’abord, il faut s’attaquer aux contraintes qui pèsent sur les femmes, comme le partage inégal de la charge de soins aux enfants, mais aussi les conventions qui les poussent vers des secteurs d’activité moins rentables. Par exemple, en Ouganda, le bénéfice mensuel moyen dans le secteur de l’esthétique, où les femmes sont majoritaires, est de seulement 86 dollars, contre 371 $ dans le secteur de l’électricité, à forte domination masculine. De la même façon, en RD Congo, les femmes travaillent dans des secteurs comparativement moins rentables.

Changer les mentalités

Les hommes se tournent plus naturellement vers des métiers auxquels eux ou leurs modèles ont été exposés, et sont plus au fait des conditions salariales. « Le secteur privé peut jouer un rôle clé, en encourageant les femmes à passer de l’autre côté, notamment par le biais d’incubateurs ou par le développement de programmes internes aux entreprises », notent les spécialistes.

Pour autant, il faut nous mettre à penser différemment. Si la plupart des pays d’Afrique sont parvenus à la parité filles-garçons dans l’accès à l’enseignement primaire, un fossé persiste au-delà. « Cela pourrait expliquer les différences en matière de décisions stratégiques dans les affaires. » Les femmes à leur compte ont, dans l’ensemble, suivi des études moins longues que les entrepreneurs, lesquels sont souvent techniquement plus qualifiés. Là aussi, il faut revoir ses préjugés quant aux formations adaptées.

Ainsi, au Togo, une formation destinée aux petits entrepreneurs sur « la prise d’initiative, les comportements proactifs et la persévérance », a-t-elle donné des résultats impressionnants : les femmes ayant suivi cette formation ont vu leur bénéfice augmenter en moyenne de 40 % – à rapprocher de l’absence de toute augmentation significative pour celles qui assistaient à une formation « business » classique.

Les auteures signalent le cas édifiant d’une Togolaise qui, avant sa formation, louait des robes de mariage. À l’issue du cours sur l’initiative individuelle, elle a décidé d’élargir sa clientèle, en vendant des robes et en proposant des accessoires comme les gants ou les voiles : elle possède aujourd’hui des boutiques dans trois pays d’Afrique ! Cette formation a depuis été reprise dans différents contextes et sur deux continents, avec des résultats très positifs. « Par l’intermédiaire de partenariats avec le secteur privé, de telles formations pourraient être déployées sur l’ensemble du continent, à la fois auprès des grandes entreprises et dans l’univers de l’entrepreneuriat. »

Faire rimer entrepreneuriat et inclusion financière

Enfin, des actions simples et peu coûteuses peuvent avoir un fort impact sur l’autonomisation des femmes : au Malawi par exemple, encourager les femmes à enregistrer leur entreprise n’avait aucun impact sur leurs bénéfices. Mais si l’on couple cet enregistrement à une réunion d’information dans une banque, avec ouverture d’un compte bancaire d’entreprise, on voit s’accroître de façon significative la palette des services financiers formels utilisés par les femmes, avec à la clé une augmentation des bénéfices de l’ordre de 20 %. Et le coût de l’opération n’est que de 27 $ par entreprise. Voilà qui semble essentiel dans le contexte de l’Afrique subsaharienne, où seulement 27 % des femmes ouvrent un compte dans une ins­titution financière.

L’appui des outils psychotechniques constitue un autre exemple de collaboration fructueuse avec le secteur privé. Face aux difficultés qu’ont les femmes d’accéder aux capitaux, deux réponses sont possibles : leur donner un meilleur contrôle des actifs – par exemple via des droits de propriété conjoints (comme au Rwanda) – ou contourner totalement les contraintes de collatéral (gage des rares biens possédés par les entrepreneures) sur les prêts.

Le secteur privé est un « allié de poids » dans l’autonomisation des femmes en Afrique, concluent les économistes de la Banque mondiale, en particulier pour s’attaquer aux trois principales contraintes que sont l’accès au capital, la ségrégation sectorielle et le déficit de compétences.

 

Beaucoup de femmes tunisiennes ont la capacité de générer des revenus, que ce soit dans la production, l’artisanat, le commerce ou encore les services. Elles utilisent leurs revenus en priorité pour le bien-être de leur famille, ce qui n’est pas systématiquement le cas des hommes, constate Michael Cracknell, cofondateur de Enda inter-arabe, spécialiste de la microfinance en Tunisie. Face au fort taux de chômage masculin, beaucoup de femmes micro-entrepreneures sont devenues la principale source de revenus de leur famille. Une cliente d’Enda avait deux métiers différents : l’élevage de vaches laitières et le recyclage de métaux. « Et ton mari, que fait-il ? », lui demande-t-on ; sa réponse : « Je le paie 15 dinars par jour quand j’ai du travail pour lui ! »

On peut estimer qu’avec une moyenne de quatre personnes par ménage pour chaque micro-entrepreneur, les activités soutenues par la microfinance impactent positivement la vie de près de 1,5 million de Tunisiens. Sans compter que les micro-entrepreneurs eux-mêmes ont créé près de 100 000 emplois, souvent informels. En moyenne, deux tiers des candidats à un premier micro-crédit auprès d’Enda sont acceptés.

Certes, ces femmes font face face à des obstacles, qu’ils soient sociaux ou bureaucratiques, qui les découragent. Culturellement, elles sont ainsi confrontées à des barrières sociales qui affectent directement leur mobilité. Tandis que la culture entrepreneuriale demeure peu développée en Tunisie, où plus du tiers des diplômés ont pour ambition d’occuper un poste de fonctionnaire.

Les professionnels répondent par des formations et encadrements en gestion, en commerce, en design et en éducation financière. Si elle est souvent délaissée par les hommes, cette formation permet aux femmes de mieux gérer leur épargne et leurs budgets.

Dans le contexte tunisien et contrairement aux idées reçues, les données d’Enda montrent que les personnes pauvres et les femmes en particulier, remboursent leur prêt. Parmi le faible pourcentage de clients en défaut de remboursement (moins de 2 %), un tiers seulement est composé de femmes. Ces dernières ont une très forte capacité à contribuer davantage à l’économie, que ce soit en Tunisie ou ailleurs. « Mieux les intégrer enrichira la société tout entière », conclut ce professionnel de la microfinance.

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