Katia Kameli : « Mon travail invite à la réflexion et la connaissance »

L’artiste franco-algérienne Katia Kameli présente à Marseille une écriture visuelle qui mêle les vues de l’Algérie et de la France, au moyen de films, de vidéos, d’images. Elle explique ici sa manière de convoquer l’histoire, et les histoires, pour dépasser les préjugés.

Interview avec Serges David

Katia Kameli, dans votre exposition Elle a allumé le vif du passé, d’où vous vient l’idée d’allumer le passé de façon si vive ?

Je crois que ce n’est pas une idée. C’est une envie très forte, quelque chose qui me dépasse, d’une certaine manière. Cette envie est ancrée en moi d’allumer le vif du passé.

Mon travail vise à pacifier les rapports, non pas en effaçant l’histoire, mais en re-sollicitant et re-convoquant l’histoire ! Ce sont des rapports complexes : les Algériens regardent énormément la France, les Français ne regardent pas suffisamment l’Algérie.

« Le vif du passé », c’est une expression que j’emprunte à Assia Djebar, une grande romancière et cinéaste algérienne ; grâce à l’éducation, elle a su relever tous les défis et être élue à l’Académie française.

Dans votre travail, on remarque la présence appuyée du livre, du roman et des femmes surtout. Quel est le fil conducteur qui relie ces trois éléments et quel est leur apport dans votre activité ?

Je fais beaucoup référence aux livres et aux romans dans mon activité. Je présente deux projets différents dans l’exposition. Au premier plateau, vous trouvez le roman algérien chapitre I, II et III, une trilogie de films. Au deuxième plateau, j’expose un travail qui s’intitule Stream of Stories, et qui lui est plus relatif aux sources orientales dans les Fables de Jean de la Fontaine.

Une oeuvre de Katia Kameli
Une oeuvre de Louiza Ammi, le 17 mars 1997, des explosions secouent la capitale Alger: Kouba à la cité Coopemad, une voiture piégée, 11 morts et 23 blessés, Impression sur papier peint contrecollé sur cimaise, tirage 336 x 286 cm. Courtesy Louiza Ammi.

Dans ces deux projets, j’y présente un rapport au livre, un rapport à l’histoire, parce que l’histoire est importante, elle construit nos identités.

Derrière chaque histoire, se trouve un narrateur qui peut être vous, qui peut être moi, mais qui adopte toujours un positionnement différent. Donc il n’y a pas une histoire. Ce sont des histoires. Et c’est ce que j’essaie de mettre en avant dans mon travail : la pluralité et la polyphonie des histoires.

Justement en parlant d’histoire, votre travail se fonde sur des faits historiques adossés à la culture pour en faire in fine, une exposition…

Je travaille beaucoup. Je fais des recherches, je m’entoure aussi de personnalités, spécialistes et de penseurs. Par exemple, dans le chapitre I du roman algérien, on entend Daho Djerbal un historien algérien, on entend Samir Toumi (écrivain algérien) et puis on entend surtout, dans le chapitre II, Marie-José Mondzain (une grande philosophe française spécialiste de l’image) ; Louisette Ighilahriz, une militante algérienne. Ainsi, entend-on différentes personnes qui sont toutes spécialisées sur certains sujets que moi, que je convoque, que je sollicite et que finalement je rassemble. J’imprime une sorte de couture avec toutes ces interventions.

L’Algérie et la France, ce sont des rapports tumultueux, conflictuels ; votre travail vise-t-il aussi à pacifier les relations entre les deux pays ?

Exactement, mon travail vise à pacifier les rapports, non pas en effaçant l’histoire, mais en re-sollicitant et re-convoquant l’histoire ! Ce sont des rapports complexes : les Algériens regardent énormément la France, je pense que les Français ne regardent pas suffisamment l’Algérie, donc je la donne à voir aussi à travers ce travail.

Ce que la politique finalement n’a pas réussi à arranger, est-ce que la culture peut ?

Oui, je pense que la culture peut ! La culture, nous lisse, la culture est poreuse. Elle est en perpétuel mouvement et s’adapte à différents territoires. La culture est un langage qui dépasse les structures politiques.

Vous êtes adossée à une double culture, algérienne et française. On peut vous faire le reproche de négliger le côté français…

Ce n’est pas le cas ; puisque dans le projet Stream of Stories, je parle justement de la porosité culturelle, en m’appuyant sur des fables qui viennent finalement d’Inde, mais qui sont un socle de la culture française : les Fables de La Fontaine. Nous avons tous dû apprendre ces Fables en France ! Nous avons tous répété les mots de la Fontaine sans savoir ses sources. Son inspiration vient des autres, vient surtout de l’Inde. Ce sont des textes qui sont passés par la Perse et par les pays arabes. Ils ont été traduits par Ibn al-Muqaffa (traducteur arabe) dans Kalilah wa Dimna, qui est un traité politique.

Que répondez-vous au citoyen lamda qui vous demande : « Katia Kameli, finalement, quel est votre projet ? »

Je lui réponds que mon projet, on peut le voir à travers les images que je donne à voir, vise à re-convoquer les récits qu’on nous a donnés, de les ré-interroger et d’apporter un nouveau point de vue. Chacun doit faire un travail d’analyse, dépasser la première lecture des choses et aussi s’instruire.

Allez-vous vous ouvrir vers l’Afrique subsaharienne ?

J’aimerais beaucoup ! J’ai pris toute d’une série de photographies, à l’occasion d’une invitation à la Biennale de Bamako. Je me suis également rendu deux fois la Biennale de Dakar, sans oublier celle de Lubumbashi au Congo. À chaque fois, c’était un énorme plaisir de rencontrer d’autres cultures, d’autres paysages. C’est dire que j’ai déjà enclenché un regard particulier sur l’Afrique subsaharienne.

On sait que les imaginaires sont enflammés par des présupposés sur les Africains. Quel message avez-vous à dire aujourd’hui, vous qui êtes adossée sur une double culture.

Les personnes qui peuvent s’enflammer sur ces sujets ont une totale méconnaissance des cultures africaines riches et diverses. Mon travail invite justement à la réflexion et la connaissance.

En êtes-vous le résumé de ce travail, vous-même ?

Grâce au travail, grâce à la lecture, on peut sortir de là où on est, ou était, peut-être, prédestiné.

ENCADRE

Trombinoscope : Katia Kameli

La réalisatrice Katia Kameli (48 ans) est une artiste franco-algérienne née à Clermont-Ferrand, en France. Elle a allumé le vif du passé est une exposition monographique, dans le cadre du Focus Femmes de la Saison Africa2020, qu’elle réalise.

La pratique de Katia Kameli se fonde sur une démarche de recherche : le fait historique et culturel alimente les formes de son imaginaire plastique et poétique.

Dans le cadre de cette Saison panafricaine dédiée à présenter le point de vue de la société civile africaine du continent et de sa diaspora, il est nécessaire, et plus encore à Marseille, de partager l’œuvre d’une artiste qui se consacre à l’écriture visuelle de l’histoire algérienne, en France et en Algérie, depuis déjà deux décennies.

À SAVOIR

Exposition : Elle a allumé le vif du passé

Exposition : Du 20 mai au 19 septembre 2021

Commissaire : Eva Barois De Caevel

Exposition organisée dans le cadre de la Saison Africa2020, avec le soutien d’Axian et de la Fondation H. En partenariat avec les Rencontres d’Arles dans le cadre du Grand Arles Express.

SD

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