Annabelle Ténèze : « Le choix de nous inscrire dans la saison Africa2020 »  

L’historienne de l’art Annabelle Ténèze explique les choix des expositions d’œuvres africaines présentées à Toulouse, dans le cadre de la saison Africa2020. Chaque artiste, défiant les stéréotypes, s’inscrit dans l’histoire de son pays et dans la transmission de sa culture.

Par Serges David, envoyé spécial à Toulouse

L’exposition Au-delà des apparences, il était une fois… est une réflexion sur l’oralité. L’Afrique est le continent de l’oralité. Cette exposition permet-elle de mieux la cerner et la comprendre ?

La question sur la compréhension de l’Afrique est tellement vaste qu’elle est finalement à l’image du continent lui-même, avec ses 54 pays et ses nombreuses langues ; pour nous, l’idée est de présenter des pistes de compréhension, en tout cas des portes d’entrée.

On le constate dans l’exposition, l’oralité est aussi bien une transmission de l’écrit, de l’histoire, des histoires de contes comme dans l’œuvre de Nicène Kossentini (Tunisie-France), notamment avec les contes de sa grand-mère.

Dans le prolongement, nous voyons aussi comment se vit la transmission de l’oralité quand il s’agit du chant (également la musique) comme dans l’œuvre de Meriem Bennani (Maroc-États-Unis). Notre problématique est de cerner comment se transmet le savoir, comment on transmet aussi de nouvelles choses à l’ère de l’Internet.

 Vous présentez aussi l’exposition L’Afrique dans tous ses états, quelle est la différence avec la première exposition ?

Le programme L’Afrique dans tous ses états, est un peu une « réaction » à l’exposition temporaire, dans le cadre de la saison africaine. Il était important pour nous de montrer que dans nos collections permanentes, figurent des œuvres d’artistes africains, présentes indépendamment d’une occasion donnée comme une exposition ou la saison africaine. Pour nous, il était important de montrer ces œuvres aussi bien dans des expositions thématiques que dans nos expositions de collections permanentes.

Pour ce qui concerne la richesse artistique, nous voyons bien que la créativité des Africains ne date ni d’hier, ni d’avant-hier. Elle est aussi très présente chez les jeunes artistes. Plutôt encourageant ! On ne peut pas nier cette diversité ainsi que cette créativité.

L’Afrique dans tous ses états, c’est plutôt un clin d’œil pour dire que l’Afrique, c’est 54 pays. Et on ne montre pas 54 pays, encore plus si on devait compter en nombre de cultures, en une exposition ; par contre, on peut en découvrir des portes d’entrée.

Dans la même foulée, vous présentez aussi l’exposition Revue noire, une histoire d’art contemporain africain.

Ici aux Abattoirs, ce lieu d’exposition d’Art moderne et contemporain de la ville de Toulouse, nous réfléchissons à trois programmes au cours de cette saison Afrique 2020 : Au-delà des apparences. Il était une fois, il sera une fois, aborde la question de l’oralité et de la transmission particulièrement à l’ère de l’Internet et des réseaux sociaux. Ensuite, L’Afrique dans tous ses états d’art vise à mettre en valeur les artistes de la collection permanente qui viennent d’Afrique.

Nous avons eu l’idée de présenter une exposition autour de la Revue noire. Cette revue revient souvent dès qu’il est question, en France, de la connaissance de l’art africain.

L’exposition est donc l’occasion de montrer une revue qui a fait connaître, par sa diffusion énorme, l’art africain. Sa manière de collecter les photographies, les images d’œuvres, mais aussi la musique, la cuisine, la danse, le design, était si singulière.

Notre objectif vise, avec cette exposition, à démontrer qu’il y a tellement de choses à découvrir en Afrique, tellement impossible à résumer, qu’on ne peut s’appuyer que sur des revues, sur des disques et des livres…

La Revue noire est devenue historique. Elle a été précurseur dans la question de la diffusion, de la modernité, de la créativité de la période pré-Internet. Il nous semble intéressant de raconter cette histoire qui n’est connue que par des milieux fermés.

Je vous citerai, par exemple, notre présentation très intéressante de la photographie qui permet de connaître toute une histoire de cet art africain inconnu en Europe.

Avec toutes ces initiatives, quelle Afrique visez-vous ? Celle avec les 54 pays, ou visez-vous une Afrique particulière ?

Pour répondre à cette question, faudrait-il déjà que je définisse ce qu’est une Afrique ! Je ne suis pas sûre d’en être capable. Par contre, ce que nous visons, c’est la découverte, la connaissance, l’histoire et la mise en valeur de la créativité.

Nous avons plusieurs artistes notamment dans notre collection permanente qui sont issus de l’Afrique du Sud. Nous avons tenté, je ne dirai pas un équilibre, mais en tout cas, de présenter aussi bien des artistes du Maghreb que de l’Afrique subsaharienne. La commissaire d’exposition est Éthiopienne. C’est vrai, il était important d’éviter une sur-représentation d’une partie de l’Afrique ou d’une autre. C’est une dimension à laquelle nous avons été très attentifs dans la construction globale de l’ensemble des projets.

N’est-ce pas aussi une tentative d’instaurer le dialogue Nord Sud ?

C’est une tentative d’instaurer beaucoup de dialogue. En tout cas, dans le regroupement d’artistes ici à l’exposition, nous n’avons clairement pas fait de distinction. Dans cette salle où nous, nous trouvons, par exemple, nous voyons une artiste originaire d’Éthiopie, une autre travaillant sur un projet historique en Ouganda, une Tunisienne… Toutes ces artistes entrent par l’histoire, par un biais différent, qui est à la fois un biais lié à leur propre vécu, sûrement par leur propre pays ; mais elles présentent des choses en commun qui sont très humaines.

Toutes ces œuvres de cette exposition nous parlent indépendamment du contexte africain. Ce projet nous apprend énormément et surtout nous donne des informations sur comment nous vivons aujourd’hui et comment nous nous construisons aujourd’hui aussi bien avec nos connaissances familiales, nos connaissances historiques, traditionnelles : celles qu’on apprend par l’éducation et celles qu’on apprend par les réseaux.

Évidemment, ici, on regarde le contexte africain, mais tout ce qu’on dit sur le mode de vie à l’ère des réseaux sociaux, tout ce qui est dit des relations interfamiliales, sont des questions qui nous touchent, quel que soit l’endroit où l’on se trouve et d’où on vient.

À votre sens, la diversité des artistes exposés traduit-elle une certaine richesse de l’art africain ?

Cette richesse est indéniable. C’est ce qui justifie l’importance de montrer les œuvres de nos collections. Des œuvres d’artistes qui sont très jeunes, mais aussi d’artistes plus historiques dans Revue noire. Même si notre échelle est le temps moderne et contemporain, cela ne doit pas signifier que, parce que nous y vivons, ce n’est pas un temps qui a déjà une histoire.

Et pour ce qui concerne la richesse artistique, nous voyons bien que la créativité des Africains ne date ni d’hier, ni d’avant-hier. Elle date tout simplement. De plus, elle est aussi très présente chez les jeunes artistes. Plutôt encourageant !  On ne peut pas nier cette diversité ainsi que cette créativité.

Nous espérons, par cette exposition, que le public y adhère ! Parce qu’une grande partie de notre public, pas seulement à Toulouse, n’est pas allée en Afrique. L’idée aussi, c’est de dépasser les idées reçues.

Je pense, à cet effet, que les gens seront agréablement surpris aussi bien de découvrir des œuvres de photographes assez anciens dans l’histoire de la photographie, comme d’admirer des artistes qui travaillent sur les technologies les plus avancées.

Quel impact a Africa2020 en Occitanie ?  

Nous le verrons dans quelques semaines, car les expositions ont ouvert plus tard que prévu. Je pense qu’Africa2020 va apporter beaucoup à plusieurs personnes. D’abord celles qui ne connaissent pas l’Afrique et aussi à beaucoup de personnes originaires d’Afrique vivant à Toulouse.

En 2019, des associations avaient présenté une extraordinaire exposition à la bibliothèque de Toulouse sur l’apport des Maghrébins dans la ville. Puis, des colloques ont permis de découvrir des représentants d’autres pays d’Afrique, qui ont aussi travaillé sur l’histoire des Africains à Toulouse. Cette exposition est aussi pour eux.

Plus globalement, elle est pour la découverte, pour les échanges et aussi le dépassement des clichés.

Dans la même cohérence, cet été, nous présenterons une exposition dénommée Horizons d’eaux, un programme entrepris depuis plusieurs années, qui accompagne un festival. L’artiste égyptien Samir El Kordy va réaliser une œuvre d’art sur une péniche qui se déplacera. Nous présenterons également des expositions les Esprits de l’eau. Cette année, dans la région, se déroule un grand projet de l’artiste malgache Joël Andrianomearisoa, lequel figure aussi dans nos collections, aux Abattoirs, par une œuvre pérenne.

Comme vous le constatez, pour notre région, nous avons fait le choix de nous inscrire dans la saison Africa2020.  

*Annabelle Ténèze est historienne de l’art française, archiviste-paléographe et conservatrice du patrimoine. Elle est directrice des Abattoirs, Musée – Frac Occitanie Toulouse.

SD

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