Ngozi Okonjo-Iweala :  « Ne me gênez pas ! »

Le dernier obstacle sur son chemin ayant été franchi avec le départ de Donald Trump, Ngozi Okonjo-Iweala a été nommée directrice général de l’Organisation mondiale du commerce. La Nigériane parviendra-t-elle à galvaniser l’organisation ?

Par Anver Versi

« Elle va changer radicalement l’institution ! », a réagi Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne et ancienne directrice générale du FMI. Qui répondait à une question sur l’impact qu’aurait la nouvelle directrice générale Ngozi Okonjo-Iweala, sur l’OMC (Organisation mondiale du commerce).

Christine Lagarde a longtemps collaboré avec Okonjo-Iweala : « Elle est une femme merveilleuse, volontaire, douce, très douce, dotée d’une approche réaliste des problèmes ; sous un gant souple, elle a une main de fer. » Quelle description ! Au fil des ans, en tant que rédacteur en chef des magazines African Business et African Banker, j’ai eu l’occasion de rencontrer Ngozi Okonjo-Iweala à plusieurs reprises.

Dans le climat actuel de guerres commerciales, de montée des nationalismes, du protectionnisme et du pouvoir des méga entreprises telles que les GAFA, une OMC forte est plus que jamais nécessaire. L’institution doit être secouée de haut en bas, et qui mieux que la Dame qui ne recule pas peut s’y employer ?

Elle m’est toujours apparue comme une femme simple et directe, qui n’est pas affectée par les hautes fonctions qu’elle a exercées. Que ce soit en tant que directrice générale de la Banque mondiale ou en tant que ministre des Finances (deux fois) de la plus grande économie africaine, le Nigeria. Elle est toujours aimable, affiche un large sourire, ignorant l’agitation autour d’elle. Elle se concentre sur l’activité du moment, même si celle-ci n’est rien de plus que d’échanger des informations ou des plaisanteries avec un journaliste comme moi.

On s’attend souvent à ce que les personnalités comme elle prononcent des discours à tout événement auquel elles participent – et « Dr Ngozi » est constamment sollicitée par les grandes et petites organisations à travers le monde ! Habituellement, les dignitaires s’en tiennent à une formule bien élaborée visant à s’assurer que personne n’est mécontent, mais en disant peu de choses. Cependant, quand Okonjo-Iweala parle, même brièvement, vous écoutez et vous vous en souvenez.

Des débuts difficiles

Chaque fois que vous la rencontrez lors des conférences internationales, elle vous impressionne par sa formidable intelligence. Cette fameuse intellectuelle a une détermination inébranlable qu’elle a manifestée depuis l’enfance. Elle est diplômée de l’Université de Harvard en 1976 et du Massachusetts Institute of Technology.

Mais ses débuts n’ont pas été faciles. Bien que son père, le professeur Chukwuka Okonjo, fût l’Obi (roi) d’Ogwashi-Ukwu dans l’État du Delta, Ngozi a dû s’occuper de ses frères et sœurs, dès son plus jeune âge. Ses deux parents étudiaient aux États-Unis et les enfants étaient élevés avec une stricte discipline par leur grand-mère.

La période était très difficile dans l’histoire du Nigeria. La guerre civile au Biafra faisait des ravages. Son père était brigadier dans l’armée du Biafra et la famille devait constamment bouger.

Elle relate, dans une interview qu’elle nous a accordée : « Je mangeais un repas par jour et des enfants mouraient. Ainsi, j’ai appris à vivre très frugalement. Je dis souvent que je peux dormir très confortablement sur un sol en terre battue ainsi qu’un lit à plumes. Cela a fait de moi quelqu’un qui peut se passer de beaucoup de choses dans la vie, en raison de ce que nous avons vécu. »

Durant les jours difficiles, sa sœur de trois ans est tombée malade du paludisme. Elle l’a portée pendant cinq kilomètres jusqu’au cabinet du médecin, s’est frayé un chemin à travers la foule de patients et a grimpé par une fenêtre pour atteindre le médecin qui a pu sauver la vie de sa sœur.

Autre anecdote : pour quelqu’un qui est considéré comme parmi les meilleurs économistes d’Afrique et du monde, le premier contact de Ngozi avec l’économie a failli la faire pleurer ! En effet, elle raconte que pour l’empêcher de la déranger, son père, économiste mathématicien, lui a tendu un livre pour l’occuper. Bien que Ngozi fût une lectrice avide, le livre parlait d’économie et il l’ennuyait profondément. Elle résolut de ne plus jamais se rapprocher de quoi que ce soit ayant trait à l’économie. Elle a fini quand même par étudier cette discipline, mais uniquement parce qu’elle ne pouvait pas choisir la géographie comme matière principale !

Une négociatrice hors pair

Finalement, elle a adopté cette science. « L’économie explique le monde. Elle capte la façon dont le monde travaille. L’analyse et la dynamique du développement m’ont intriguées et préoccupées toute ma vie. »

Ngozi Okonjo-Iweala

Ngozi Okonjo-Iweala

Ngozi Okonjo-Iweala devait passer 25 ans à se plonger dans toutes les facettes de l’économie telles qu’elles se jouaient aux niveaux national et international à la Banque mondiale. Son approche de bon sens ainsi que son sens du détail l’ont amenée à devenir rapidement directrice générale, le deuxième poste le plus élevé de l’institution.

Bien qu’elle n’ait pas vraiment changé la Banque mondiale, elle l’a néanmoins secouée de temps en temps, s’assurant que les problèmes de développement n’étaient pas mis sous le tapis ou traités de manière superficielle. Ses collègues expliquent qu’elle a également inspiré d’autres Africains de la banque à soulever des questions difficiles, au lieu de suivre fidèlement la ligne orthodoxe.

C’est lorsqu’elle est devenue ministre des Finances du Nigeria, sous la présidence de Olusegun Obasanjo, en 2003, qu’elle a commencé à faire bouger les choses avec force. Malgré les prix élevés du pétrole, l’économie nigériane était étranglée par un fardeau croissant de la dette, due principalement aux exigences du Club de Paris des nations occidentales.

Les pourparlers d’Okonjo-Iweala avec le Club de Paris sont considérés comme un classique de l’art de la négociation. Elle a persuadé les pays membres d’annuler ou rééchelonner la dette du Nigeria, dont une annulation pure et simple de 18 milliards de dollars. L’un de ses collègues de la Banque mondiale, David Ferranti, commente : « La façon dont elle a conclu l’accord sur la dette est incroyable. Très peu de gens auraient pu le faire. »

Avec la frugalité et la discipline qui lui ont été instillées depuis son enfance, Ngozi Okonjo-Iweala s’est engagée à réduire les dépenses au ministère des Finances, mettant en œuvre des politiques pour stabiliser l’environnement économique du pays. Elle a insisté pour que chaque État publie ses rapports financiers, chaque mois. Elle a introduit des systèmes de gestion électroniques pour lutter contre la corruption et améliorer la transparence. Et elle a obtenu la toute première note de crédit de la dette souveraine du Nigeria, auprès de Fitch.

Okonjo Wahala

Son deuxième passage en tant que ministre des Finances a eu lieu sous l’administration du président Goodluck Jonathan (2011 – 2015). Elle avait des idées très claires sur la manière d’améliorer le niveau de vie des Nigérians.  Elle a conclu des accords de refinancement hypothécaire. Elle a favorisé les organisations axées sur les entreprises pour les femmes et les jeunes, qui ont généré des centaines de milliers d’emplois.  Elle a travaillé avec le département national des statistiques pour changer les calculs du PIB. Du jour au lendemain le Nigeria, et non l’Afrique du Sud, avait la plus grande économie du continent !

Sans doute, ce qui vivement marqué son deuxième passage en tant que ministre des Finances, est sa campagne sans compromis pour mettre fin au scandale des subventions pétrolières qui coûtaient au pays des milliards de dollars chaque mois. Cela a déclenché une tempête de protestations. Elle a gagné le surnom d’Okonjo Wahala. La « femme trouble » a rétorqué : « Peu m’importent les noms qu’ils me donnent. Je suis une combattante. Je suis très concentrée sur ce que je fais et implacable dans ce que je veux réaliser. »

Secouer l’OMC

Ngozi Okonjo-Iweala a été menacée de mort et sa mère a été kidnappée dans le but de la forcer à révoquer l’interdiction des subventions. Elle n’a pas cédé. Lorsque les ravisseurs ont compris qu’ils ne pouvaient pas la forcer à changer sa politique, ils ont libéré sa mère, indemne.

Que peut réaliser Okonjo-Iweala à l’OMC ? Le fait qu’elle soit la première femme et la première Africaine – et la première Américaine car elle dispose de la double nationalité – à occuper ce poste affectera-t-il ce qu’elle entreprendra ?

Il ne fait aucun doute que l’OMC, créée en 1995 pour décider de la réglementation du commerce international, servir de forum de négociation, arbitrer les conflits commerciaux et surveiller la mise en œuvre des accords commerciaux, est en mauvaise posture depuis un certain temps.

Les blocs commerciaux régionaux, tels que l’UE et l’ASEAN, ont acquis une plus grande importance alors que le non-respect des règles internationales, y compris la propriété intellectuelle par la Chine et autres pays, est resté impuni. L’hostilité de Donald Trump envers les organismes mondiaux tels que l’ONU, l’OMS, etc., s’est étendue à l’OMC.

Clairement, dans le climat actuel de guerres commerciales, de montée des nationalismes et du protectionnisme et du pouvoir des méga entreprises telles que Facebook et Google, une OMC forte est plus que jamais nécessaire. L’OMC doit être secouée de haut en bas, et qui mieux que Ngozi Okonjo-Iwealea, la Dame qui ne recule pas, peut s’y employer ?

AV

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